Les notes du curé de Dommartemont (1/2)
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Pour cette série, on reste
à Dommartemont, petite commune de Meurthe-et-Moselle. Je vous en ai déjà parlé
dans l’article précédent sur Jean
DORTEL, chauffeur à gaz au XIXe siècle.
Au XVIIIe siècle cette
fois, on découvre à plusieurs reprises des notes du curé de Dommartemont,
intercalés entre les actes paroissiaux. Plusieurs nous renseignent sur l’année
écoulée, une autre sur le contexte de la fin de sa prêtrise. L’abbé semble
avoir pensé à la postérité et ses témoignages sont très intéressants.
Antoine GAUCHERON devient curé de Dommartemont en 1771. Il remplace Jean
François TANNIER, décédé le
25/06/1771 à l’âge de 38 ans.
1772, des récoltes abondantes
Ses notes débutent pour
l’année 1772. Pour sa première année complète en tant que curé de Dommartemont,
l'abbé GAUCHERON détaille d’abord les conditions météorologiques et
économiques de l’année.
Extrait
des notes du curé Antoine GAUCHERON, janvier 1773, Dommartemont.
Registres paroissiaux de Dommartemont, BMS 1642-1792,
vue 180/348. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle. |
« Cette année mil sept cent soixante douze a été abondante en bled, et
plus encore en vin. De quatorze livres qu’il le vendoit l’année précédente,
il est venu celle cy à quatre livres, […]. Chacun a été dans
l’admiration de la beauté suprême de l’été. Personne ne l’avoit encore
vû aussi constamment beau. Il vint sur la fin de septembre huit ou dix
jours de pluie fort froids qui frustrèrent les hommes d’avoir le vin
d’aussi bonne qualité qu’ils avoient lieu de l’esperer. Ces pluies causèrent
beaucoup de pourriture dans le raizin, ce qui en altérant sa qualité
rendit sa conservation suspecte, et le fit mettre à si bas prix. Il se
vendoit très cher depuis 1766, les vignes depuis l’année suivante aiant
donné très mincement. »
En 1772, le blé et le vin sont
abondants grâce à un été particulièrement beau.
Mais plusieurs jours de
pluie froids en septembre causent beaucoup de dégâts au raisin, qui est donc de
mauvaise qualité. Les vignerons doivent diminuer son prix, après plusieurs
années de rareté. Ainsi, 1772 est une année relativement favorable aux
cultivateurs de blé mais une mauvaise année pour les vignerons.
1770-1771, retour sur une crise agricole
Cette année favorable pour
les blés et qui voit leur prix diminuer est bénéfique pour les habitants. En
effet, les deux années précédentes ont été difficiles.
Extrait
des notes du curé Antoine GAUCHERON, janvier 1773, Dommartemont.
Registres paroissiaux de Dommartemont, BMS 1642-1792,
vue 180/348. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle. |
« Les deux années précédentes, scavoir 1770 et 1771, et plus cette derniere
encore,furent terribles par la chereté des bled. Il s’est vendu jusqu’à 35 lt et
40 lt. Depuis Pâques, jusqu’à la moisson en 1771, le peuple n’avoit du pain
que des hôtels de ville qui faisoient moudre et cuire, et distribuoient à chaque
ménage des villages circonvoisins une certaine quantité de pain relative au
nombre des personnes, suffisante seulement pour les soustraire à la mort.
Cette chereté du bled excessive et cruelle fut causée par l’exportation qu’on
en faisoit dans les païs étrangers, et la permission qu’avoient toutes sortes
de personnes indistinctement de le commercer. Et se fit à Nancy et dans
plusieures autres villes des revoltes de la part de la populace contre ceux
qui conduisoient des voitures chargées de bled. Celle de Nancy eut pour
objet le magazin de bled, dont les portes furent forcées et fracturées, et ou
chacun prit du bled ce qu’il voulut, sans que personne osât faire la
moindre retissance. »
En France, des difficultés
économiques sont apparues dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
L’accroissement démographique et les récoltes moyennes ont entraîné une hausse
des prix du blé. Cela a provoqué un appauvrissement de la population. En
parallèle, les échanges à l’étranger se sont multipliés, ce qui a été mal vu
par la population.
En Lorraine, le duc Stanislas LESZCZYNSKI a créé en 1750
des magasins de blé destinés à
prévenir la hausse du prix du pain lors de disettes. Ils étaient gérés par les
villes, qui devaient spéculer sur le prix des grains en les mettant sur le
marché au moment opportun.
Après la mort de Stanislas
en 1766, l’administration française a récupéré la gestion des magasins et a centralisé
l’ensemble à Nancy. Déjà mal perçue par les habitants, elle a été accusée
d’accaparement.
Comme partout en France, les
récoltes de 1770 et 1771 sont catastrophiques. La population de Nancy s’en
prend à l’administration dès le 20 avril 1771, qu’elle accuse de « pacte
de famine » et de monopole. A partir du 19 mai, des rumeurs de farine
avariée provoquent une révolte générale.
Les 21 et 22 mai, la population saccage et pille le magasin de blé de Nancy. Le
mécontentement ne se termine que par une souscription générale lancée à
l’initiative des avocats de la ville, un don de la petite-fille de Stanislas,
Adélaïde, et le procès du commisseur-livreur Rochette, l’un des intermédiaires
entre vendeurs et acheteurs, accusé de tous les problèmes. C’est cette révolte que
relate Antoine GAUCHERON dans ses notes, et qui a dû toucher Dommartemont
puisque la commune est voisine de Nancy.
1772, des changements politiques
Enfin, l’abbé GAUCHERON
revient sur les changements politiques intervenus dans les années précédentes.
Extrait
des notes du curé Antoine GAUCHERON, janvier 1773, Dommartemont.
Registres paroissiaux de Dommartemont, BMS 1642-1792,
vue 180/348. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle. |
« Le roi (Louis XV) a fait de grands changemens dans les parlements. Celuide Paris a été supprimé entièrement, et le roi en a créé un nouveau. Celui deMetz a été réuni à celui de Nancy.Les Jésuites tombent en ruine dans tous les Etats, dont les monarques suiventl'exemple de celui de France, en abolissant cette société. »
En janvier 1771, Louis XV
et son ministre René Nicolas de MAUPEOU
suppriment les parlements, qui
s’opposent régulièrement aux décisions royales. Ils sont réorganisés et
remplacés par des conseils supérieurs. Celui de Paris, tout puissant, est
remplacé par six conseils. En Lorraine, la Cour
souveraine de Lorraine est instaurée pour gérer les Trois Evêchés (Metz,
Toul, Verdun) et la Lorraine. Cette réforme sera de courte durée puisque le
12/12/1774, le nouveau roi Louis XVI rétablira les parlements initiaux.
L’abbé GAUCHERON évoque
aussi le sort des Jésuites, cet
ordre religieux ultramontain (tourné vers Rome) fondé en 1540. La Compagnie de
Jésus est de plus en plus critiquée dans les pays européens. En France, elle
s’oppose à la tradition gallicane qui cantonne le pape à un rôle spirituel et
place l’organisation de l’Eglise sous l’autorité du roi. Les curés sont donc
majoritairement opposés aux Jésuites, tout comme semble l’être l’abbé
GAUCHERON.
En novembre 1764, Louis XV promulgue un édit qui proscrit la Compagnie
de Jésus en France et confisque tous ses biens. Avant la France, le Portugal a
expulsé les Jésuites en 1759. Suivront l’Espagne et le royaume des Deux-Siciles
en 1767, ainsi que le duché de Parme en 1768.
Joseph Hyacinthe METZELARD, vigneron de Dommartemont
Avant de tomber sur les
pépites du curé GAUCHERON, je consultai les registres paroissiaux pour étudier
la famille METZELARD.
Joseph Hyacinthe METZELARD a été baptisé le 09/04/1716 à Faulx,
commune de Meurthe-et-Moselle située à environ 15 km de Dommartemont. Ses
parents, Jacques Hyacinthe et Catherine COLSON, sont originaires de cette commune. Jacques Hyacinthe est
vigneron puis laboureur.
Joseph Hyacinthe a 8
frères et sœurs nés entre 1700 et 1718. Aucun ne semble être décédé en bas âge.
Acte de baptême de Joseph Hyacinthe METZELARD, 09/04/1716, Faulx. Registres paroissiaux de Faulx, BMS 1642-1792, vue 280/652. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle. |
Le 03/08/1745, il épouse Anne SIRY, originaire de Dommartemont.
Ils ont ensemble 8 enfants nés entre 1746 et 1761. Le couple déménage à
Dommartemont entre 1750 et 1753.
L’abbé GAUCHERON marie plusieurs
enfants du couple : Marie Anne
en 1775, Barbe en 1781 et Jean Charles en 1782. Il inhume aussi Joseph Hyacinthe le 11/02/1779,
ainsi que ses enfants Joseph Toussaint en 1787 et Anne en 1788, décédés célibataires. Un
acte d’inhumation particulier est même accordé à Joseph Toussaint, tailleur d’habits
de 32 ans, qui est inhumé près de l’église. Cela me fait dire que malgré sa
profession laïque, il a dû exercer une fonction auprès du père GAUCHERON. D’ailleurs,
il était souvent présent dans les actes d’état civil.
Acte
de sépulture de Joseph Toussaint METZELARD, 02/04/1787, Dommartemont.
Registres paroissiaux de Dommartemont, BMS 1642-1792,
vue 325/348. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle. |
« L’an mil sept cent quatre vingt sept le deux d’avril à une heure et demieaprès midi est décédé en cette paroisse après une vie de trente deux ans et demi,constamment passée dans la vertu et distinguée par la piété la plus exemplaire,une vie véritablement cachée en Dieu avec Jésus-Christ et couronnée par la plusédifiante reception des Sacrements de pénitence, d’Eucharistie et d’Extrême-onction, Joseph Toussaint Metzélard, garçon tailleur d’habits fils de feuJoseph Metzélard et d’Anne Ciry, paroissien de ce lieu. Le lendemain versmidy son vénérable corps a été inhumé avec les cérémonies ordinaires dansle cimetière de cette paroisse à côté de la porte de l’Eglise à gauche enentrant, en présence de Jean Charles Metzelard, frère du défunt, deFrançois Poirier, de Jean Claude David, tous trois vignerons et paroissiensde Dommartemont, et de Charles Bérnel beau frère du Défunt vigneronparoissien d’Amance, lesquels ont signé avec nous Curé dudit lieu, aprèslecture faite.Gaucheron, curé de DommartemontCh. BernelJC. MetzelardF. PoirierJC. David »
Concernant le contexte
météorologique et économique, Joseph Hyacinthe et sa famille le subissent
puisqu’il est vigneron, comme la
grande majorité des habitants de Dommartemont. Son deuxième fils Jean Charles (dont on parlera dans l’article
suivant) exerce également cette profession. Cependant, aucun enfant du couple
ne décède en bas âge, ce qui fait penser qu’ils ont un niveau de vie correct.
Tous ont également appris à écrire, ils ont donc fréquenté l’école du village.
Les autres points évoqués
par le curé GAUCHERON dans ses notes ne concernent pas particulièrement la vie
quotidienne de ses paroissiens. Il est peu probable qu’ils se préoccupaient de
la suppression des parlements ou de l’expulsion des Jésuites.
La suite au prochain
article, avec les notes du curé sur les années 1773-1774 mais surtout une note
particulière sur la fin de sa prêtrise en 1791.
Sources
Archives départementales de Meurthe-et-Moselle :
Dommartemont BMS 1642-1792 (5 Mi 164/R 1),
Faulx BMS
1592-1768 (5 Mi 186/R 1)
Wikipédia : suppression
de la Compagnie de Jésus
Lorraine Café : Les
200.000 livres de Stanislas (Nancy 1750-1797)
Cosmovisions : Le Parlement de Paris et les
Parlements provinciaux
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