Les notes du curé de Dommartemont 2/2

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Dans l’article précédent, on a découvert Antoine GAUCHERON, abbé de Dommartemont à partir de 1771. Dans ses registres paroissiaux, il nous a laissé des notes originales sur les premières années de sa cure.
Après les années 1770-1772, voici maintenant les années 1773 et 1774. Ainsi que sa toute dernière rédaction, une note sur la fin de sa prêtrise en 1791.

1773, une année agricole similaire à 1772

Comme en 1772, l’abbé GAUCHERON commence par décrire le contexte agricole et économique de l’année. La météo a une influence considérable sur la vie de ses paroissiens, quasiment tous paysans et en particulier vignerons.


Extrait des notes du curé Antoine GAUCHERON, Dommartemont.
BMS 1642-1792, vue 182/348. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle.


« Cette année mil sept cent soixante-treize a été des plus heureuses pour
la fenaison et la moisson. Ce qui n’a pas empêché que le bled ne fut fort
cher (18,19 et 20 lt). Les vignes produisirent une quantité prodigieuse de
raizins. Mais dans le tems de la fleur, trois semaines de pluie causèrent le
plus grand préjudice, et la vendange fut des plus chétives. L’Eté fut de toute
beauté et le tems continua à être beau et chaud jusqu’au dernier jour d’octobre
auquel l’hyver commença par du tonnere et un orâge. Il a été constament
pluvieux et favorable aux pauvres et aux frileux n’y aiant eu que dix
à douze jours de gelée très modérée, au mois de janvier suivant. »


L’année 1773 est elle aussi favorable à la récolte du blé, même si ses prix restent élevés. On l’a vu, le prix du blé a fortement augmenté depuis la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Les causes sont des récoltes plutôt moyennes alors que la population augmente, et des exportations plus importantes à l’étranger.
En réalité, les prix commencent à diminuer lentement depuis 1772, mais il faudra quelques années pour qu’ils atteignent un niveau acceptable.

Une pluie importante, comme l’année précédente mais cette fois-ci au printemps, a ruiné la récolte du vin. C’est donc une période difficile pour les nombreux vignerons de Dommartemont.


Comme pour l’année 1772, le curé GAUCHERON poursuit ensuite ses notes sur les changements politiques et religieux de l’année. Cela le concerne au premier plan mais touche moins ses paroissiens.


Extrait des notes du curé Antoine GAUCHERON, Dommartemont. BMS 1642-1792, vue 182/348. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle.


« Le souverain pontif (Clément XIV) a fulminé contre les Jésuites, et
donné une Bulle par laquelle il les secularise tous, et anéantit cette société.
Monseigneur l’Evêque de Toul (Claude Drouas de Boussey) est mort
Subitement le 21 octobre. Les Synodes ruraux ont été supprimés par
une lettre de cachet du roi du 8 mai 1773.
Les Curés sont allé en représentations à Sa Majesté pour en obtenir le
Rétablissement.
Monsr Etienne François-Xavier de Champorcin évêque de Senez a été
Nommé à l’Evêché de Toul. Le roi a divisé ce diocèse en trois, et a érigé
En evêchés Nancy et Saint-Diez. Il a donné le premier à Monsr de Sabran
Et l’autre à Monsr De Lagalaizière doyen et prevôt du chapitre de cette
Eglise. »

La situation des Jésuites s’empire en 1773. Le 21 juillet, le pape Clément XIV cède à la pression de plusieurs souverains européens et signe la bulle Dominus ac Redemptor qui supprime la Compagnie de Jésus dans le monde entier. Les maisons religieuses jésuites sont fermées et confiées aux autres ordres religieux.

Dans deux parties distinctes de ses notes, l’abbé GAUCHERON évoque les changements opérés au sein de son évêché. Certains de ces changements ont été mis en place dans les années qui suivent. Ainsi, même si les projets pouvaient être connus dès 1773, Antoine GAUCHERON a certainement rédigé le dernier paragraphe lors des années suivantes.

En effet, en 1773, Dommartemont dépend de l’évêché de Toul. A partir de 1773-1774, des discussions débutent afin d’ériger de nouveaux évêchés dans la région. Cela sera effectif en 1777, avec la division de l’évêché de Toul en trois parties afin de créer ceux de Nancy et de Saint-Dié.

L’évêque Claude DROUAS de BOUSSEY a administré l’évêché de Toul pendant 19 ans, entre 1754 et 1773. Il décède le 21/10/1773 et il est remplacé par Etienne François Xavier des MICHELS de CHAMPORCIN. Ce dernier est originaire du sud de la France et a effectivement été évêque de Senez.

A Nancy, une charge honorifique avait été créée en 1602 par le pape Clément VIII, le primat de Lorraine. En effet, le duc de Lorraine Charles III avait demandé la création d’un évêché mais ne l’avait pas obtenu, et avait reçu cette charge en compensation. Nancy possède donc un primat, évêque qui a une suprématie honorifique sur les évêques de sa région.
En 1773, le primat est Antoine Clériade de CHOISEUL-BEAUPRE. Ce n’est qu’à partir de 1774 que le primat sera Louis Hector Honoré Maxime de SABRAN, comme l’évoque l’abbé GAUCHERON. Sa charge durera jusqu’à la création de l’évêché en 1777. Il n’est donc pas évêque de Nancy comme le dit l’abbé GAUCHERON dans sa note postérieure.

A Saint-Dié, Barthélemy Louis Martin CHAUMONT de LA GALAIZIERE est désigné en 1774 par Louis XV pour être le futur évêque. Mais il n’est sacré évêque qu’en 1777, comme son confrère de Nancy.

Enfin, une autre information locale est donnée par l’abbé GAUCHERON, pour laquelle je n’ai que peu d’informations. En mai 1773, le roi Louis XV fait interdire les synodes ruraux du diocèse de Toul. Les synodes ruraux sont des réunions entre les curés et les doyens d’un évêché. Cette interdiction durera jusqu’en mai 1775. Le journal janséniste Nouvelles Ecclésiastiques publiera :

« On se rappelle que feu M. Drouas Evêque de Toul avoit fait supprimer, par ordre du Gouvernement, les Synodes Ruraux  de son Diocèse, comme ne pouvait qu’être nuisibles au bien des Services du Roi […] »

Le roi a peut-être souhaité soumettre au silence des curés qui n’étaient pas favorables à la création des deux nouveaux évêchés, à la période où ce projet se mettait en place.

1774, une note courte mais une naissance insolite

Pour l’année 1774, le curé GAUCHERON ne rédige pas autant de détails que les années précédentes.

Extrait des notes du curé Antoine GAUCHERON, Dommartemont. BMS 1642-1792, vue 185/348. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle.


« Louis XV Roi de France, dit le Bien-aimé est mort le 10 mai, de la petite
vérole.
Monseigneur l’Evêque de Toul (Etienne François-Xavier Des Michels de Champorcin
est arrivé en sa ville époscopale le 19. 7bre 1774.
Il est né au mois de juillet à Laître annexe d’Amance, un Enfant mâle
Sans tête, n’aiant a une main que quatre doigts et à un pied, trois. Toutes
les autres parties du corps étoient bien formées. Cet enfant est né à terme
et a été donné à Mr Lafreite Chirurgien de Nancy qui l’a embaumé
et le conserve. »

Il rappelle seulement deux informations politiques et religieuses. La première est la mort de Louis XV le 10/05/1774, des suites de la variole (« petite vérole ») et d’une septicémie aggravée de complications pulmonaires.
La deuxième information est l’arrivée à Toul du nouvel évêque Etienne François Xavier des MICHELS de CHAMPORCIN, nommé en 1773.

Par contre, il relate un fait divers qui a eu lieu à Laître-sous-Amance, commune située à environ 7 km de Dommartemont, et qui a dû faire grand bruit parmi les curés de la région. Un enfant, né à terme, « sans tête » (je suis quand même un peu étonnée) et malformé aux mains et aux pieds. Impossible de vérifier dans les registres paroissiaux de Laître-sous-Amance, le curé n’a pas jugé utile de relater cette naissance (contrairement à notre curé consciencieux).

Le curé GAUCHERON et la Révolution Française

Après 1774, le curé GAUCHERON ne rédige plus ce genre de notes. Peut-être s’est-il lassé de cette tâche, qui demandait de faire une rétrospective sur toute l’année. Par contre, on retrouve une note à la fin de sa prêtrise en 1791. Il s’agit de sa toute dernière rédaction dans les registres paroissiaux de Dommartemont.


Note du curé Antoine GAUCHERON, 28/08/1791, Dommartemont. BMS 1642-1792, vue 337/348. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle.


« Cejourd’hui vingt huit aoust mil sept cent quatre vingt onze le père
Déprez Minime est venu s’emparer de mon Eglise sous la qualité
d’administrateur envoié par l’Evêque constitutionel du Département
de La Meurthe. Je déclare que cette entreprise s’est faite sans ma
participation, contre mon gré et mon attente ; que par conséquent je ne
suis pas Démisionnaire comme j’en suis accusé ; et que j’ai inébranlablement
dans l’ame, ainsi que toute justice m’y autorise de continuer à être Curé
de Dommartemont jusqu’à la mort, protestant contre mon déplacement
prétendu, et n’y faisant d’autre droit que la nécessité de céder à la force.
En foi de quoi j’ai signé, les an, mois et jour avant dits.
Gaucheron
Curé de Dommartemont »

Le 12/07/1790, l’Assemblée Constituante promulgue la Constitution civile du clergé, qui place l’Eglise de France sous l’autorité de la nation et la réorganise.  Le 27/11/1790, les ecclésiastiques reçoivent l’obligation de prêter serment à la Nation. Ceux qui refusent sont déclarés suspects et risquent d’être arrêtés.

En janvier 1791, lors de l’entrée en vigueur de la Constitution civile du clergé, tous les évêques sauf sept et près de la moitié des curés refusent de prêter serment. Antoine GAUCHERON fait donc partie de ces réfractaires. De même que son supérieur, l’évêque de Nancy Anne Louis Henri DE LA FARE, qui émigre à l’étranger. Il est remplacé en mai 1791 par Luc François LALANDE, évêque constitutionnel de la Meurthe (qui a accepté la Constitution civile du clergé).
Le nouvel évêque met de l’ordre dans son évêché et renvoie l’abbé GAUCHERON. Il est remplacé par Sigisbert DEPREZ, nommé administrateur de Dommartemont.
Dans les villages voisins, les curés deviennent progressivement constitutionnels. A Essey, le curé THOUVENEL émigre en 1791 et il est remplacé par MASSON. A Agincourt, le curé MAIGRET est également remplacé. Dans tous ces cas, la transition sur le registre paroissial se fait simplement par un changement de nom. Parfois, le nouveau curé précise qu’il est le « premier curé constitutionnel » de la commune. La note d’Antoine GAUCHERON est donc exceptionnelle.


Les METZELARD de Dommartemont

Dans l’article précédent, nous avons évoqué Joseph Hyacinthe METZELARD, sa femme Anne SIRY et leurs 8 enfants. Ils ont vécu les années 1770-1774 relatées par l’abbé GAUCHERON, qui n’ont pas dû être très faciles. Pourtant, la famille me laisse l’impression de vivre correctement.

Parmi les enfants de Joseph Hyacinthe, Jean Charles METZELARD reprend l’activité vigneronne de son père. Né en 1761, il épouse Anne POIRIER le 15/01/1782. Elle aussi est originaire du village et fille de vignerons.
C’est l’abbé GAUCHERON qui les marie puis qui baptise leurs cinq premiers enfants. Il en inhumera aussi deux : Jean François, leur premier né âgé de trois jours, en 1783, et Dominique Hilaire âgé d’une semaine, en 1788. Au total, le couple aura 12 enfants en l’espace de 19 ans.

Les 12 enfants de Jean Charles METZELARD et d'Anne POIRIER. Heredis 2014. Histoire de Généalogie


La famille semble aussi avoir des liens avec Sigisbert DEPREZ. Ce dernier décède très peu de temps après avoir expulsé l’abbé GAUCHERON de son église, le 30/11/1791 à l’âge de 46 ans. Il est donc né vers 1745.
On trouve la trace d’un Sigisbert DESPREZ baptisé le 08/04/1745 à Bouxières-aux-Dames, commune située à environ 10 km de Dommartemont. Son parrain est Sigisbert DESPREZ, son oncle, habitant à Dommartemont. Sa marraine est Anne CIRY, « jeune fille » de Dommartemont, peut-être la future épouse de son parrain (bien que normalement les parrains et marraines d’un même enfant ne peuvent pas s’épouser).
Dans tous les cas, le parrain a un lien avec la famille METZELARD. En 1788, il est témoin de l’inhumation d’Anne METZELARD, une sœur de Jean Charles METZELARD.

Sources

Archives départementales de Meurthe-et-Moselle :
Dommartemont BMS 1642-1792 (5 Mi 164/R 1)
Bouxières-aux-Dames BMS 1702-1792 (5 Mi 89/R 2)

Malet et Isaac, Les Révolutions 1789-1848, Hachette Littératures, 1960, p.49-50


Guy Lemarchand, L’économie en France de 1770 à 1830, De la crise de l’Ancien Régime à la Révolution Industrielle, Armand Colin, 2008

Diocèse de Nancy : histoire du diocèse de Nancy

Nouvelles Ecclésiastiques ou Mémoires pour servir à l’histoire de la Constitution Ugenitus, 1792, p.161



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